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19 janvier 2021 2 19 /01 /janvier /2021 07:47

Je ne sais pas ce que disent les paroles de cette complainte de Bongeziwe Mabandla, mais j’écoute régulièrement cette chanson depuis notre retour en Afrique du Sud.

Pleure, ô pays bien-aimé

 

 « Cry, the Beloved Country » est un roman de l'écrivain sud-africain Alan Paton, publié en 1948, année de l’arrivée au pouvoir du National Party. Ce sont les premières lois de « l'apartheid » et une ségrégation raciale systématique dont sont alors victimes les Noirs.

 

Aujourd’hui, dans ce pays qui n’est pas le mien, mais que j’aime profondément, c’est une autre ségrégation qui s’est installée, c’est un autre drame humain qui se joue.

D’un côté, un peuple qui souffre, qui a du mal à survivre et de l’autre, Mandela doit se retourner plusieurs fois par jour dans sa tombe, des hommes politiques qui pillent littéralement le pays, le saignent sans aucun scrupule. Ils n’ont pas attendu le départ de Madiba pour le faire. Dès le mandat de son successeur, Thabo Mbeki (1999/2008), la corruption s’est généralisée pour devenir un fléau sous Jacob Zuma (2009/2018), au point de parler de « state capture » (capture d’Etat).

 

On espérait beaucoup de l’arrivée de Cyril Ramaphosa, premier milliardaire noir du pays, à la tête du pays en 2019, mais les choses n’ont fait qu’empirer malgré les effets d’annonce, le procès intenté à Jacob Zuma...

 

La crise du COVID est révélatrice de cette déliquescence avec des scandales presque tous les jours, impliquant enfants, époux de femmes placées au plus hautes fonctions.

 

Le principe est toujours le même depuis des années : des appels d’offre pipés, remportés par des proches du pouvoir.

Khusela Diko, membre du comité exécutif provincial (PEC) de l’ANC du Gauteng, est porte-parole du gouvernement. Son mari, Madzikane II Thandisizwe Diko, est l'unique directeur de Royal Bhaca, qui a obtenu deux contrats d'une valeur de 47 millions de rands (2,6 millions d’euros) et 78 millions de rands (4,3 millions d’euros) pour la fourniture et la livraison d'équipements de protection individuels, de matériels divers liés à la crise sanitaire.

Un rapport montre que Royal Bhaca et d'autres bénéficiaires ont facturé jusqu'à sept fois le coût des biens et services, bien au-dessus des prix réglementés par le département national de santé.

Par exemple, Royal Bacha a facturé au département de la santé du Gauteng, 58 rands par masque chirurgical au lieu des 12,48 rands règlementaires, 85 rands par unité de 500 ml de désinfectant à l'alcool Actigerm au lieu des 46,37 rands règlementaires et 7 rands par sac de déchets médicaux, dont le prix s’élève à 1,80 rand l’unité…

Ce sont des milliards qui sont ainsi détournés, mettant le pays sur la paille.

 

A côté de cela, des millions de personnes se retrouvent au chômage à cause du COVID et touchent une aide mensuelle exceptionnelle de R350 (un peu moins de 20 €), quand cette dernière arrive car le système de distribution des aides sociales mis en place par le SASSA (South African Social Security Agency) est calamiteux. Chaque mois, des millions de personnes sont obligées de faire la queue pendant des heures, voire de dormir sur place pour obtenir cette aide et survivre.

 

A cette ségrégation s’ajoute un manque fondamental d’empathie de la part de ces puissants. Il y a quelques jours, des milliers de personnes pauvres et désespérées faisaient la queue devant le bureau de Sassa à Bellville, à Cape Town. La ministre du développement social, Lindiwe Zulu, en visite sur place, leur a demandé de maintenir les protocoles de distanciation sociale et comme elle n’obtenait pas satisfaction, elle a fait bombarder la foule par des canons à eau. Après cet incident, elle a déclaré aux journalistes: «Personne ne voudrait jamais utiliser des canons à eau juste pour le plaisir. Mais la situation devenait vraiment incontrôlable et les gens refusaient de s’éloigner les uns les autres».

Je vous conseille de regarder le reportage de SABC ci dessous, dont est extrait cette impression d'écran

Je vous conseille de regarder le reportage de SABC ci dessous, dont est extrait cette impression d'écran

Anton Ressel, consultant en « business » à Fetola, société travaillant dans l’innovation sociale, explique très bien le phénomène et notamment l’avènement des « tenderpreneurs » (soumissionnaires). Pour The Star, journal sud-africain, le tendepreneur est «quelqu'un de politiquement bien connecté qui s'est enrichi grâce au système d'appel d'offres du gouvernement».

 

Et vous retrouvez des « tenderpreneurs » à tous les niveaux, de la petite ville jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, en passant par les provinces.

Le principe est le même à tous les échelons : un appel d’offres est lancé et le marché est attribué à une entreprise à un coût bien supérieur aux services rendus. Le surplus va dans les poches de t’entrepreneur et des fonctionnaires qui attribuent le marché.

 

Aujourd’hui, selon Anton Ressel, 80% des « jeunes entrepreneurs noirs sud-africains » n’ont absolument aucune entreprise au-delà de l’économie artificielle liée aux appels d’offres du gouvernement, de la province ou de la municipalité.

 

Et il prend l’exemple d’un jeune homme qui entend parler d’un appel d’offres pour l’entretien des espaces verts dans une petite ville du coin. S’il connaît un fonctionnaire bien placé et même s’il n’a jamais allumé une tondeuse de sa vie, il va créer une entreprise au joli nom d’ « Ubuntu Garden Services » et la semaine suivante, il remportera l’appel d’offre de R 65000, battant sans aucun doute ceux qui pratiquent l’aménagement paysager depuis des années.

Ensuite, « Ubuntu Garden Services » soustraite le travail à une autre entreprise pour un prix dérisoire avec la certitude d’un travail bâclé.

 

Quand il s’agit de secteurs plus sensibles comme la construction des routes, le réseau des eaux usées, on peut facilement imaginer les conséquences de cette corruption généralisée.

 

Enfin, à ce petit jeu, certains hommes politiques s’enrichissent considérablement et se constituent des cagnottes qu’ils utilisent lors des élections.

 

Aujourd’hui, en Afrique du Sud, les coupures de courant sont quotidiennes, alors qu’il y a quarante ans, le pays « surproduisait » de l’électricité qu’il revendait aux pays limitrophes. 

 

Aujourd’hui, bon nombre de municipalités sont en état de faillite.

 

D’année en année, on observe fatalement une dégradation des conditions de vie, notamment pour les plus précaires. Impossible de se constituer un matelas social en cas de coup dur. Les caisses sont inexorablement vides et la crise du COVID a mis en exergue cette gestion calamiteuse de l’Afrique du Sud, ancienne nation riche du continent.

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commentaires

M
Merci pour cette page, au plaisir de vous voir. ❤
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B
Malheureusement l'Afsud risque de descendre encore plus bas que ce que tu considères comme le fond; la corruption est un panier percé; à l'image de l'Algérie, elle risque de ne pouvoir se relever; hélas!
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P
Est-ce que tous les pays qui rentrent dans cette spirale sont condamnés? Il y a bien des exemples de pays qui s'en sortent et dans ce cas, quels sont les leviers sur lesquels agir...? La "société civile" ne peut pas, à elle seule, changer le cours des choses. Cela passe forcément par un changement politique... En tout cas, la liberté de la presse est encore préservée à ce jour.
P
Bel article Philippe et je sens ta tristesse de voir ton pays d’adoption descendre inexorablement vers un destin bien triste pour la majorité de ses habitants. Grosse ressemblance avec Mada... le journalisme et l’écriture auraient pu être des pistes à suivre... en plus de l’EPS... bises
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P
Merci Patrick. Et heureusement que les associations caritatives, comme à Mada, permettent de soulager les plus démunis... la question que je me pose à présent: faut-il que l'Afrique du Sud touche le fond pour avoir une chance de se relever?